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Certaines photos ont été glanées sur le Net. Elles ne sont utilisées que dans un but illustratif. Si toutefois leurs auteurs y voyaient une quelconque objection, merci de me contacter.

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« L’Enfer, c’est les Autres »

            Jean-Paul Sartre

Pour comprendre le but de ce blog, il vaut mieux commencer par lire ça.

8 avril 2008 2 08 /04 /avril /2008 21:09

Jeannine est une dame digne et fière, elle vit toute seule, se tient droite et affiche le plus beau vernis de respectabilité qui soit. C’est vrai qu’elle n’a pas eu une vie facile.

Jeannine est une amie de ma mère. Elles habitent à quelques kilomètres à peine l’une de l’autre mais ne prennent jamais le temps de se voir, préférant la confortable distance que leur offrent leurs interminables conversations téléphoniques dominicales.

 

Quand elle raconte son existence ponctuée des pires malheurs, nous ne pouvons que compatir avec elle. Une vie comme dans les romans : une enfance malheureuse, des parents alcooliques, violents, peu présents, une absence totale de la tendresse qui fait grandir avec l’équilibre nécessaire. Le départ du foyer familial à l’âge de quatorze ans, le travail pour survivre, l’adolescence plus brisée encore que les premières années. Jeannine racontait tout ça, avec résignation, presque avec gloire.

Elle aurait pu tenir sa revanche lorsque, adulte, elle rencontra celui qui allait devenir son mari. L’ombre du bonheur se laissait enfin apercevoir. Les jeunes épousés eurent bientôt un fils, un beau garçon qui grandit et vint apporter joie et fraîcheur au couple. Mais dans la vie comme dans les romans, le bonheur dure rarement. Jeannine dut vivre une nouvelle tragédie, d’une banalité aussi minable que les précédentes : elle surprit son mari dans la cuisine, en train de farfouiller sous les jupes d’une cousine, invitée ce soir-là à dîner. La liaison durait depuis des semaines, des mois peut-être. Jeannine, trahie, l’honneur bafoué, fit face avec toute l’élégance dont elle était capable.

Mais l’époux volage entreprit d’achever la femme dont il ne voulait plus. Il partit un beau matin après avoir vidé les comptes en banque, ne laissant rien à son ancienne famille que leurs larmes amères. Point de sens des responsabilités : il ne se retourna pas sur son fils, oublié à une jeune mère effondrée et sans moyens de subsistance.

Jeannine affronta l’adversité, trouva un travail fatigant, mal payé et peu gratifiant pour élever son innocente progéniture. Commença une existence solitaire et toute entière tournée vers le garçon qui grandissait. Il n’y avait pas assez à manger ? Jeannine jeûnait pour nourrir le petit. Elle raconte souvent comme elle divisait en trois le bol de café qui lui servait de repas journalier, pour en faire un ersatz de petit-déjeuner, déjeuner et dîner. Cela lui permettait de garder ses maigres sous pour acheter un morceau de viande à l’enfant chéri.

Et semaine après semaine, année après année,  le petit Gérard grandit. Jeannine se raccrochait à son fils pour combler le vide laissé parle mari volage, pour compenser les jeunes années éprouvantes, pour oublier l’absence d’affection de ses pochtrons de parents. Jeannine aimait croire qu’elle était heureuse, un drôle de bonheur nourri du sentiment de sacrifice et de dévotion qu’elle associait au rôle de mère célibataire.

Gérard devint adulte, il se maria, eut un enfant. Une vie bien remplie qui laisse peu de place pour la vieille maman solitaire. Bien sûr, il venait la voir mais espaçait de plus en plus ses visites. Et puis sa femme, là, elle n’était pas bien aimable. Elle arborait toujours un air pincé face à sa belle-mère, laquelle se pliait en quatre pour être agréable à la jeune pimbêche. Elle était toujours prête à l’aider, lui dispensait de judicieux conseils pour bien élever le bébé. A croire que cela ne lui faisait pas plaisir, que la belle-mère expérimentée lui livre un peu de sa riche expérience. Il fallait pourtant voir comment elle s’y prenait : quelle maladresse, quelle inconscience ! Et même pas reconnaissante qu’on lui montre comment faire.

Gérard ne disait rien, mais venait moins. Téléphonait moins. Semblait sur la défensive. C’était la faute de la vilaine, c’est elle qui avait changé son fiston. Il finit par ne plus du tout donner de nouvelles. Quelle tristesse, après tant de journées difficiles et toutes ces nuits seule à préserver la chasteté qui sied aux mères respectables, finir abandonnée du seul être pour lequel elle avait renoncé à tout.

 

Elle avait pourtant veillé à lui donner une bonne éducation. Jeannine raconte souvent à ma mère ses souvenirs, le temps où elle était jeune, le temps où Gérard était petit. Elle ne se lasse pas de visiter sa mémoire et d’en faire profiter les autres.

Quand Gérard avait huit ans, il avait eu un poisson rouge. Il l’avait désiré, rêvé, il avait supplié la mère inflexible pour qu’elle accepte de lui offrir un animal et  c’est ainsi que, après une note scolaire brillante, ils étaient allés chercher l’ami à écailles. Il était rentré tout fier, le sac en plastique où nageait un minuscule être orangeâtre dans une main et le bocal transparent dans  l’autre. Il fallait voir comme il aimait l’observer, lui parler ! 

Au début, il changeait l’eau aussi souvent que cela lui avait été recommandé par le vendeur. Et puis il fallut le lui répéter un peu plus souvent, un peu plus fermement. Finalement Jeannine fut obligée de le faire à sa place. Elle pestait à chaque fois. Gérard avait pourtant promis qu’il prendrait ses responsabilités et serait seul à veiller sur Nestor le poisson.

Et puis il y eut ce jour, ce jour où elle était un peu plus en colère que d’habitude, ce jour où elle pensa que Gérard avait besoin d’une bonne leçon, de celles qui font réfléchir, de celles qui montrent qu’en face, on ne plaisante pas. De celles qui montrent que lorsque l’on prend des engagements, il faut les tenir. Alors que Jeannine nettoyait une énième fois le bocal en vociférant, elle regarda les toilettes avec une inquiétante fixité, puis observa Nestor qui nageait innocemment dans le lavabo. Puis de nouveau les toilettes. Avec une rapidité toute impulsive, elle se saisit de la bête et la jeta dedans. Nestor, surpris, frétilla deux fois plus vite puis se mit à explorer le nouvel et étroit environnement qui lui était offert.  Pour peu de temps, hélas ! Jeannine s’empressa de tirer la chasse et Nestor disparut, englouti par l’impitoyable châtiment de la mère parfaite.

 

Jeannine ne raconte ni les pleurs ni la détresse de Gérard qui, au retour de l’école, découvrit le sort réservé à son pauvre poisson rouge. Elle ne retire de l’anecdote qu’une illustration de ses qualités éducatives : autorité, droiture, enseignement de la vie. Qualités auxquelles s’ajoute, cela va de soi, son exemplaire abnégation.

 

 

Non, décidément, ces gosses, tous des ingrats.

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commentaires

J
Merci Motus pour ton commentaire. Je reprendrai prochainement le blog, qui est en pause actuellement. Et bien sûr, j'irai faire un tour chez toi. A bientôt.
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M
Joli blog plein d'humour et de jolies histoires!Si tu aimes lires, je t'invite à visiter le mien. C'est un roman en ligne qui mélange musique et littérature, puisque que j'associe une chanson à chaque passage.bonne lecture et surtout continue ton blog!motus
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J
Accent grave, tu as raison. Il est urgent de faire des manipulations génétiques pour créer le poisson propre qui nettoie tout seul son eau. Teresa, le sacrifice est sans doute l'une des notions les plus subjectives que je connaisse.
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T
Difficile de mesurer à quel point il faut se "sacrifier" pour ces ingrats... Ne jamais perdre de vue qu'un jour ils partirons pour vivre la leur... bon WE
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A
Tout ça finalement, c'est la faute du poisson qui salit son eau. Tout adulte normalement contitué sait qu'en achetant un animal, c'est à lui que reviendra tôt ou tard de le faire. Et puis, c'est à qui l'enfant?Accent Grave
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