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Certaines photos ont été glanées sur le Net. Elles ne sont utilisées que dans un but illustratif. Si toutefois leurs auteurs y voyaient une quelconque objection, merci de me contacter.

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« L’Enfer, c’est les Autres »

            Jean-Paul Sartre

Pour comprendre le but de ce blog, il vaut mieux commencer par lire ça.

15 octobre 2008 3 15 /10 /octobre /2008 14:27

Les yeux baissés, Karine écoute mon cours d'une oreille un peu distraite. Elle bavarde de temps en temps avec sa voisine, tressaille lorsque je la reprends avant de se perdre à nouveau dans de mystérieuses pensées.

Aujourd'hui, nous parlons de la population mondiale, de l'évolution démographique qui n'est sensiblement pas la même selon la région du monde où l'on se trouve. Nous analysons cartes et graphiques, nous commentons, les élèves participent. Karine ne dit rien.

Les enfants constatent qu'en Afrique, le nombre d'enfants par femme est plus élevé qu'en Europe. Enthousiastes, ils cherchent les causes, élaborent des hypothèses parfois farfelues, creusent leurs jeunes méninges pour apporter à l'auditoire  la clé de l'énigme. Et enfin, victoire ! Ils trouvent.
- Ben les femmes en Afrique elles mettent pas de capote!

Rires gras, gloussements gênés, protestations effarouchées chassent le studieux silence.

Nous reformulons soigneusement, écrivons la définition de « moyens de contraception » sur le cahier, quand Karine, sortie de sa réserve, s'exclame bruyamment : « Mais n'importe quoi ! Ca marche pas ! »

- Comment cela, «ça ne marche pas»? Quoi donc?
- Ben la pilule, quoi, les préservatifs, tout ça, ça ne marche pas!

Doctement, je lui sers les statistiques qui avoisinent les 100 %, fusille du regard l'affreux du fond qui fait tournoyer son équerre autour d'une règle et m'apprête à poursuivre lorsque Karine, accrochée à son idée, insiste :
- Mais Madame, moi par exemple, vous voyez, je suis une erreur.

 Je la dévisage, cette petite fille aux grands yeux tristes. Elle dit cela avec beaucoup de conviction, comme si elle énonçait une évidence : un erreur, elle est une erreur, son existence est une erreur.
Karine a onze ans. 

Si elle le décèle dans mon regard à la fois estomaqué et attendri, elle ne comprend sans doute pas le sentiment qui m'envahit alors. Gênée par ces paires d'yeux qui se sont arrêtés sur la petite tandis qu'elle expose inconsidérément son intime fêlure, je demande d'un ton sévère au reste de la classe de terminer de copier la définition. Lorsque l'attention générale s'est détournée de Karine, je peux m'approcher d'elle. Elle me regarde avec une grande dureté, je lui souris et lui dis:

 - On va plutôt dire que tu as été une surprise? Une belle surprise?

 
A la manière dont ses prunelles continuent de me transpercer, je comprends qu'il n'en est rien.

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commentaires

E
<br /> C'est émouvant, déroutant, tellement triste...<br />
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P
Coucou Jo! Tu m'avais caché ce blog, cachotière! ;-)Il est super, ça m'a fait plaisir de passer le lire. A bientôt!
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C
Un texte touchant qui traite d'un sujet sensible.. Les parents disent parfois de grosses bêtises qui peuvent troubler profondément un enfant. Bravo encore pour ton style juste, clair et simple, qui n'empêche pas la profondeur. Et bonne année Jo!
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A
J'ai enfin une écriture d'Henri Troyat que je vais mettre en ligne peut-être aujourd'hui... cela répond à une très ancienne demande de ta part ;)
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B
"Ah ! Te voilà, toi ? Regarde, la voilà la Pomponnette..."... je reviens comme Pomponnette après une longue absence, la queue entre les jambes... je plaide non coupable, un regrettable oubli d'aggrégateur, bref... Un très beau billet, vraiment...
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