27 novembre 2006
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J’ai souvent eu de singuliers voisins. Je pensais avoir brisé le cercle infernal de la cohabitation conflictuelle quand, enceinte jusqu’aux dents, j’emménageai avec Chéri dans l’immeuble que nous habitons aujourd’hui.
L’immeuble était très agréable, propre. L’appartement était grand, lumineux, plein des promesses d’une vie nouvelle. Les premières semaines, nous étions ravis. C’était l’été, il faisait beau. Nous nous baladions, découvrions avec bonheur un nouveau quartier et ses attraits. Puis il se mit à faire chaud. Très chaud. Chéri et moi prîmes donc l’habitude de sortir nous promener en fin de soirée, afin de profiter de la fraîcheur nocturne avant la nuit.
L’ascenseur que nous utilisions pour descendre ne fonctionnait pas bien. A chaque fois que nous appuyions sur le bouton d’appel, il émettait un bruit désagréable, un grand « clac ! » sec qui résonnait dans toute la cage d’escalier. Comme l’ascenseur ne se mettait pas en route, nous insistions. « Clac ! Clac ! » faisait l’ascenseur avec obstination. Puis, après quelques hésitations, la machine consentait à venir. Avec un peu d’appréhension –allions-nous rester coincés toute la nuit dans cette cage de fer ? - nous montions dedans.
C’était ainsi tous les soirs. Presque à heure fixe, le silence de l’immeuble était déchiré des « Clac ! » tonitruants de la machine défaillante. Je pestais souvent, et répétais, soir après soir, sans jamais prendre le temps de faire les démarches en journée, qu’il faudrait songer à la faire réparer.
Après plusieurs jours de promenade tardive, alors que je venais d’appuyer sur le bouton d’appel de l’ascenseur à trois reprises (CLAC ! CLAC ! CLAC !), j’entendis un cri rauque, presque un rugissement de fauve qui me fit sursauter. L’ascenseur ne répondit pas. Chéri appuya de nouveau sur le bouton (CLAC !). Cette fois, le grondement sauvage ne se fit pas attendre : « Whoooooooooooooorrrrrrrrroooh, c’est pas bientôt fini oui ? »
Chéri et moi nous regardâmes, saisis de stupeur. La voix semblait venir de nulle part, elle emplissait l’immeuble comme si elle émanait des murs eux-mêmes.
- Euh, c’est l’ascenseur qui ne marche pas ! lança Chéri un peu timidement en guise d’explication.
Pour toute réponse, nous entendîmes le bruit d’une porte qui claque, signe que le monstre avait réintégré son repaire.
Nous avions presque oublié l’incident quand, quelques jours plus tard, nous eûmes de nouveau affaire à l’irascible voisin.
Alerté par les « Clac ! » tonitruants, la voix vociféra : "Waaaaaarrrrrrroooooooohaaaaaaaaaaaaah». Cette fois, j’éclatai de rire. Chéri, toujours poli et courtois, entreprit de lui expliquer la situation (l’ascenseur qui ne marche pas).
- Tu descends à pied, connard ! fut la seule réponse qu’il reçut.
- Mais ma femme est enceinte de huit mois ! s’énerva Chéri.
- Je m’en fous ! Tu descends à pied ! Connard ! rooooooooooooooohaaaaaaaaaah !
Ni une ni deux, nous montâmes jusqu’à l’appartement présumé de la bête et frappâmes, encore convaincus des vertus du dialogue.
Les vociférations se firent plus intenses, toujours ponctuées d’insultes. La créature qui nous servait de voisin n’ouvrit pas.
- Casse-toi, connard !
- Euh, non, cette fois ce n’est pas « connard », mais « connasse » qui veut vous parler, dis-je non sans humour.
- Eh bien casse-toi, connasse !
Je sus qu’il n’y avait plus rien à espérer.
Nous lui avons écrit une lettre afin de mettre les choses au clair. Lui avons expliqué que les insultes, c’était terminé, sous peine d’une plainte immédiate. Le lendemain, nous récupérions notre missive, déchirée en mille morceaux, dans notre boite aux lettres. J’imaginai sans peine l’ogre, la bave aux lèvres, montrant les dents et gémissant des « rooooooooooooooooohaaaaaaaaaa » comminatoires, affairé à mettre en pièces notre courrier.
Finalement, les choses en restèrent là.
Quand je le vis enfin, je compris que si l’aspect extérieur ne renseigne pas toujours sur l’être intérieur, le physique peut cependant être en totale adéquation avec la personnalité. Petit, trapu, voûté, le visage prognathe, les yeux minuscules et enfoncés, le pauvre être promenait sa méchanceté et sa laideur sans aucune lueur d’humanité dans le regard. Cela fait des années que nous le côtoyons. Ancien militaire, il serait dépressif, c’est l’explication la plus commode. Invariablement, il affiche une mine patibulaire.
Parfois, Autrui est un ours dérangé en pleine hibernation. Le plus difficile est d’identifier sa tanière.