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« L’Enfer, c’est les Autres »

            Jean-Paul Sartre

Pour comprendre le but de ce blog, il vaut mieux commencer par lire ça.

4 mai 2007 5 04 /05 /mai /2007 15:49

 

Il a dans les yeux la dureté de celui qui a vécu le pire, de celui qui ne craint plus rien. Il s’appelle Désiré. C’est un mauvais élève.
Un mauvais élève et un perturbateur. Quand il est là, non seulement il n’apprend rien lui-même mais il empêche les autres de se concentrer. Le cours s’interrompt souvent. Désiré tais-toi. Désiré s’il te plait. Désiré, ton carnet.
Les punitions pleuvent et il ne bronche pas. Comme s’il les recherchait. S’il est puni, cela prouve qu’il est vivant, qu’on le remarque, qu’il existe. Il les rend toujours, ses punitions. Presque avec le sourire. Et il recommence pour avoir d’autres pages à copier pour le lendemain.
Avec ses camarades, il est tyrannique. C’est la seule forme de communication qu’il connaît. La violence. Inspirer aux autres la peur, c’est exister, aussi. Et bien moins risqué que d’essayer de se faire aimer. Alors Désiré menace, Désiré harcèle, Désiré rackette. Désiré se croit respecté.
Les mois passent vite, et je regarde Désiré couler, s’enfoncer dans l’échec scolaire. On me dit que dehors, il traîne avec des grands. Qu’il deale, sans doute. Désiré a douze ans.
De temps à autre,  au détour d’une remarque, d’une lecture, il me sourit. C’est le seul moment où la flamme haineuse dans ses yeux vacille. Un instant seulement. Désiré a presque perdu l’habitude de sourire, et il se crispe aussitôt qu’il essaie pour redevenir l’enfant dur que je connais depuis des mois.
 
Quand je convoque ses parents, personne ne vient. En l’absence d’interlocuteur, je coince Désiré entre deux portes, entre deux cours, pour lui faire la morale, lui proposer de l’aide, le menacer de sanctions plus sévères. Désiré m’écoute toujours. Parfois il me rit au nez avant de partir ; à d’autres moments il me fait mille promesses, joue les élèves modèles pendant un jour ou deux puis reprend ses bonnes vieilles habitudes.
Un jour, j'ai vu sa mère. Elle parle mal français, semble s’excuser tout le temps. Elle ne maîtrise pas son fils, c’est l’école qui doit le faire. Elle ne comprend pas que je sollicite sa collaboration, sa participation. Elle ne sait pas faire, elle se sent accusée. Elle ne comprend pas que seule, l’école ne pourra rien pour son gamin.
On dira qu’elle a démissionné. On dira qu’elle a baissé les bras. On dira que tout est de sa faute. Mais elle, elle sait qu’elle n’a pas l’énergie pour mener tous les combats de front. Elle s’imagine que Désiré ne peut que bien grandir, bien tourner, en faisant des études dans ce beau pays qu’est la France. La maman n’imagine pas du tout le rôle que nous attendons qu’elle endosse. Elle, il faut déjà qu’elle se lève à l’aube chaque matin, pour aller faire la queue devant la préfecture deux heures avant son ouverture. Sinon, on ne lui donnera jamais ses papiers.
Elle travaille un peu, au noir, pour survivre. C’est l’un de ses frères qui l’héberge, et Désiré est élevé avec ses cousins. Ils s’entendent bien, mais certains soirs, lorsque les uns et les autres sont tendus et fatigués, ils se disputent. Les adultes finissent par mettre tout le monde au lit avec des torgnoles et éteignent la lumière en leur imposant le silence absolu. Tant pis pour les devoirs. Ils n’avaient qu’à les faire avant.
 
Désiré a quitté le collège. Je ne sais pas ce qu’il est devenu. Sans papiers, sa mère a peut-être rejoint un squat lugubre, un hôtel miteux ou un charter gracieusement affrété par le ministère de l’Intérieur.
Pourtant il n’avait pas envie d’y retourner, dans son pays d’Afrique. Là-bas l’attendaient tous les fantômes qu’il a fuis. Cela a beau être le pays où il est né, c’est pour lui, avant tout, le pays où son père est mort.
Je l’ai appris comme ça, en fin d’année. Désiré avait huit ans lorsque des rebelles ont fait irruption chez lui, alors qu’il se trouvait seul avec son papa. Il s’est caché sous le lit, par instinct. C’est depuis cette cachette de fortune qu’il a vu son père se faire froidement assassiner.
 
Mais la France n’a pas voulu de cette veuve désespérée, de cette mère-courage qui a traversé les continents pour trouver la paix, pleine du désir d’un avenir meilleur.
Et l’école n’a pas su quoi faire de cet enfant meurtri.
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commentaires

J
Et comment ne pas penser maintenant à Ivan, cet enfant russe victime, à sa manière, du système répressif qui se met en place, et qui profite de l'été, comme si la chaleur, la torpeur estivale allaient endormir les consciences ?
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S
une histoire très touchante....j'aime bcp la réalité que tu décris....
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P
)Contente de te retrouver Jo, cet article est tellement d'actualité pour le coup...<br /> Merci de ton passage<br /> Bettina (autre blog sur lequel j'ai eu l'émotion de ton commentaire...le premier des premiers)
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J
Merci pour tous vos commentaires. <br /> L'histoire de cet enfant m'avait touchée, j'avais envie de la partager, ainsi que tous les enseignements que l'on peut en tirer. Mais ce genre de malheur ne suscite pas les mêmes émotions chez tout le monde...<br /> <br /> Valérieaga, non, je ne dessine pas et je n'ai pas l'honneur de connaître l'homonyme auquel tu fais allusion :  ;-)))
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R
Très beau texte ! Que faire face à cette misère ? Grande question !
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