Il y a deux ans, j’ai obtenu ma mutation, laissant derrière moi l’ambiance fielleuse de l’établissement où j’ai fait mes premières armes. J’ai avancé pour aller au contact d’autres élèves, d’autres vies, d’autres joies et d’autres difficultés. D’autres collègues.
La rencontre avec autrui : fascinante aventure humaine.
Ces Autrui-là, tout en ayant les particularités qui les rendent uniques, ressemblent pourtant à s’y méprendre aux précédents. Comme si la spécificité de chacun ne servait qu’à les rendre identiques à d’autres individus, innombrables, que caractérisait cette même spécificité. Ce qui semble nous distinguer des autres nous ramène finalement à la grande famille des êtres humains, tous uniques, tous semblables.
Dans cette salle des profs-ci, on s’y repose, on y déjeune, on se dispute et on se marre. Parfois on travaille. Moi, entre toutes ces activités, je bois du café.
Pour ce faire, j’ai apporté mon mug fétiche, celui qui me renvoie à la personne qui me l’a offert, celui qui chuchote à mon oreille de doux souvenirs que les autres n’entendent pas. Celui qui est à moi.
Après avoir bu mon café entre deux sonneries trop rapprochées, je le rince et le pose sur l’évier toujours sale, toujours encombré, de l’antre professoral.
Un jour, cependant, ma tasse a disparu. Comme ça, sans crier gare.
Volatilisé, le contenant de l’élixir magique qui diluait angoisses et fatigue et me permettait de repartir, résignée mais guillerette, vers la salle de classe où travail et efforts se conjuguent dans un déploiement d’énergie un peu vain. Evaporé. Evanoui.
A grands cris, je demandai des comptes à l’assemblée, laquelle me répondait tantôt par un mutisme interrogateur, tantôt par une indifférence agacée, ou bien avec un sourire moqueur. Quoi, une tasse ? Toute cette indignation récriée, toutes ces vociférations haineuses pour une simple tasse ? Elle était belle cette tasse ? Elle était chère, au moins ?
Non, même pas. Mais c’était la mienne.
Pendant des semaines, je ne décolérai pas, cristallisant dans la disparition de cette tasse toute ma détestation des travers d’autrui.
Une collègue vint me trouver un jour, tout sourire, une tasse verte à la main, me priant d’accepter son présent, histoire de me réconcilier avec le monde enseignant, lequel n’était pas constitué que d’infâmes voleurs. Je lui souris, la remerciai chaudement sans oser lui révéler que j’avais le vert en horreur, tout en étouffant la voix mauvaise qui me soufflait qu’elle pourrait bien être l’auteur repentant du larcin et que, par son offrande inattendue, elle essayait tant bien que mal de racheter sa faute.
Et puis, un soir, par mail, une autre collègue m’écrivit et passa aux aveux. Oui, c’était elle la voleuse. Elle me priait d’accepter ses plus plates excuses. Point. Sans aucune autre forme d’explication.
Le lendemain, ma tasse avait retrouvé sa place sur l’évier crasseux.