5 décembre 2006
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Sébastien avait dix-sept ans, le cheveux long et le regard de braise. C’était l’ami d’un ami, rencontré à la piscine un jour de juin. Quand je le revis quelques semaines plus tard, lors d‘une soirée d’anniversaire, nous nous rapprochâmes. Peut-être le début d’une histoire d’amour… Au téléphone, deux jours plus tard, nous nous fixâmes rendez-vous dans un parc de la capitale.
Le soleil brillait. Les températures clémentes poussaient les promeneurs à se découvrir et à arborer débardeurs et lunettes de soleil. Rapidement, je repérai Sébastien. Il était assis sur un banc, l’air décontracté, exposant sa blanche dentition dans un large sourire. Nous nous sommes promenés dans le parc en nous tenant par la main, en nous racontant nos journées. Parfois, un silence aussi gêné que gênant mettait de la distance entre lui et moi.
- Tu veux qu’on s’assoie sur l’herbe ? proposa-t-il.
- Oui, si tu veux.
Nous avions du mal à engager la conversation. Chaque sujet abordé donnait lieu à des remarques ineptes puis se tarissait rapidement. J’étais de plus en plus mal à l’aise.
Soudain, Sébastien sortit de son sac un vieux magazine tout corné à force d’avoir été consulté. C’était une publication pour adolescents, partagée entre articles sur les stars de cinéma ou de la chanson et histoires de cœur. Le regard brillant de mille étoiles, il tourna quelques pages et s’arrêta sur une photographie en noir et blanc qu’il me montra sans mot dire tout en guettant avidement ma réaction.
Je reconnus Sébastien sur la photographie. Surprise, je levai les yeux vers son visage illuminé de fierté.
- Tu as vu comme je suis beau ? me demanda-t-il.
Interloquée par une question si directe, à laquelle je ne m’attendais nullement, je bafouillai, peu convaincante. Sébastien ne se laissa pas démonter. Il me raconta comment il était devenu mannequin, quel succès il avait auprès de la gent féminine. Puis, lassé de son propre monologue, il retira son tee-shirt d’un geste viril et tout en exhibant son torse imberbe, il me tendit un tube : « Tu peux me mettre de la crème solaire ? » Sans attendre de réponse, ils s‘allongea lascivement et attendis que je procède à l’application de la crème protectrice.
En le quittant, ce jour-là, je gardai un sentiment indéfinissable mais assurément désagréable.
Nous nous revîmes plusieurs fois. La conversation de Sébastien demeurait dépourvue d’intérêt et je m’ennuyais cruellement. Entre deux bâillements, je supportais des questions telles que : « Ca te fait quoi de sortir avec un mec aussi beau que moi ? »
Plus il insistait sur sa beauté et plus Sébastien me semblait laid, comme si tous ses défauts physiques étaient soudainement mis en exergue : son nez trop long, un peu bossu, sa bouche sans relief, ses yeux d’une affligeante banalité. Je compris que je ne tolérais plus son épouvantable fatuité et je cessai de l’appeler. Dans ma tête, c’était clair : lui et moi, c’était fini.
Quelques jours à peine s’étaient écoulés quand je le revis lors d’une animation locale. Des stands avaient été montés un peu partout dans la rue illuminée, l’ambiance était à la fête. Je flânais en compagnie d’amis lorsque je me retrouvai face à face avec Sébastien. Il vint vers moi et déposa un bref baiser sur mes lèvres. Je remarquai aussitôt sa lèvre fendue, boursouflée, blessée.
- Bah alors, qu’est-ce qui t’est arrivé ?
- C’est tout à l’heure, à l’entraînement de boxe, répondit-il avec une grimace.
Compatissante, je lui dis :
- Oh la la, mon pauvre, ce n’est pas beau à voir…
Il se métamorphosa aussitôt. Ses yeux s’injectèrent de sang, la colère recouvrit son visage comme un masque haineux et il explosa :
- Comment ça c’est pas beau à voir ? C’est pas beau à voir… ! Je suis TOUJOURS beau à voir, moi !
Vexé comme un pou, Sébastien tourna les talons et fuit le plus loin possible de moi.
Je ne le revis jamais.