9 janvier 2007
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Sabine, dont vous pouvez relire les aventures ici et là, ne disposait, à dix-sept ans, que de peu d’argent. Ses parents s’en sortaient comme ils pouvaient, parfois pas trop bien. Et elle, elle aimait la mode, les fringues, le maquillage, les jolies chaussures. Alors elle a fait le choix de voler ce qu’elle convoitait.
Pour les habits, le maquillage, ce n’était pas trop difficile. En revanche, cela se compliquait pour les chaussures. Comment dérober une paire de souliers ? Après avoir tourné et retourné la question dans sa tête, analysé le problème sous toutes les coutures, elle trouva. Il suffisait de franchir le seuil du magasin avec la paire choisie aux pieds. C’est déroutant de simplicité, d’évidence, mais il fallait y penser. Sabine avait le chic pour trouver des solutions de ce genre.
Le jour où elle mit en pratique sa théorie restera à jamais gravé dans mon disque dur à souvenirs. Nous étions toutes les deux. Je plaide coupable. Oui, je savais ce qu’elle allait faire, ce qui fait de moi sa complice.
Nous arrivâmes toutes les deux dans la boutique d’une enseigne à large diffusion nationale. Nous avons fureté, observé les modèles, commenté la forme du talon des uns, les détails des autres, avant qu’elle ne craque pour de ravissantes chaussures à talons, noires, en daim.
- Ooooooh, elles sont trop belles celles-là ! s’exclama-t-elle avec envie.
Elle enfila un pied dedans et constata que cela lui allait à ravir. Sabine continuait donc à s’exclamer jusqu’à ce que ses cris de joie attirent l’attention de la vendeuse. Aimable, presque obséquieuse, celle-ci lui demanda :
- Vous voulez que j’aille vous chercher l’autre pied ?
- Oh oui, s’il vous plait, répondit Sabine.
La vendeuse s’éloigna, ouvrit une porte et descendit les escaliers qui menaient à la réserve. Comme les choses semblaient se préciser, je demandai à Sabine : « Sérieusement, tu ne vas pas le faire ? »
- Je ne sais pas, douta-t-elle.
Mais déjà la vendeuse revenait avec la boite dans les mains et un large sourire sur le visage. Elle la déposa aux pieds de Sabine et la pria de chausser chacune des deux chaussures pour s’assurer que la taille convenait. Mon amie s’exécuta. Elle fit quelques pas dans le magasin, sous le regard de la vendeuse qui attendait confirmation de son choix. Cela dura bien cinq minutes. Sabine était maintenant rouge écarlate et bafouillait : « Euh.. je ne sais pas… Ca a l’air un peu grand, mais je ne suis pas sûre ». Et elle se remettait à arpenter la boutique.
Soudain, quelqu’un entra dans le magasin. Une lueur d’espoir traversa les yeux de Sabine. En s’occupant d’un autre client, la vendeuse allait certainement s’éloigner suffisamment pour qu’elle puisse se sauver sans être immédiatement repérée.
Effectivement, cela se passa ainsi dans un premier temps. La charmante dame qui s’était occupée de nous se dirigea vers la nouvelle cliente et se lança dans une conversation avec elle. Sabine jeta des regards inquiets vers al porte de sortie. On sentait toute son indécision, ses craintes péniblement mises en compétition avec un culot pourtant bien actif. L’hésitation fut de trop : déjà la vendeuse revenait vers nous. Son sourire avait disparu : elle commençait presque à s’impatienter devant l’absence de décision.
- Alors, vous les prenez ou non ? demanda-t-elle.
Sabine expliqua que les chaussures lui plaisaient beaucoup, mais qu’elle avait l’impression que c’était un peu large à gauche.
- Vous voulez essayer la taille en dessous ?
- Non, non, parce qu’à droite c’est parfait.
- Vous voulez essayer avec une semelle ?
- Ah, oui, excellente idée, répondit Sabine, consciente aussi qu’elle devait saisir cette dernière chance sans tergiverser.
La fille du magasin s’en alla et fut un long moment occupée à chercher la taille de semelle adéquate. Sabine ne demanda pas son reste et s’en alla en courant. Je la vis franchir la porte, médusée de constater qu’elle avait osé passer à l’acte. Elle détala en un rien de temps et je la revois encore, avec sa jupe et les chaussures à talon qu’elle venait juste de voler, courant à tout rompre dans la rue noire de monde, obligée de slalomer entre les passants pour ne pas se laisser ralentir.
Dans la boutique, tout était calme. Quand la vendeuse revint, je fis mine de m’intéresser à des bottes posées plus loin. Je l’observai à la dérobée et la vis qui cherchait Sabine du regard. Surprise, elle vint vers moi :
- Où est votre amie ? me demanda-t-elle.
- Oh, dis-je en affectant un air naturel, elle ne doit pas être loin.
J’entrepris de la chercher, en balayant l’espace alentour du regard. Je feignis la surprise en ne la voyant pas :
- Oh mais c’est bizarre, elle était là il y a deux minutes.
La vendeuse s’étonna avec moi et attendis, sans sembler comprendre. Elle me questionna sur l’identité de Sabine, que je ne dévoilai pas. Puis elle dut se rendre à l’évidence : la paire de chaussures s’était envolée avec la voleuse. Ne restait plus, abandonnés sur le sol, les pauvres souliers troqués contre la rutilante paire neuve.
C’est une Sabine exténuée que je retrouvai dans un café du quartier.
Dans sa folle cavale, elle avait trébuché. Il n’est pas aisé de sprinter avec des talons de dix centimètres, et elle ne s’était pas entraînée au préalable pour l’occasion. Elle s’était donc étalée de tout son long sur le bitume parisien, avant de se relever tout affolée et poursuivre sa course, indifférente aux gens qui s’inquiétaient de savoir si elle s’était blessée, sourde aux élancements lancinants de ses genoux en sang. Ses collants noirs étaient déchirés : un énorme trou laissait entrevoir chacune des plaies, tandis que les mailles filées zébraient le reste de ses jambes.
Mais l’essentiel, c’est qu’elle avait ses chaussures, même pas abîmées dans l’accident.